Association genevoise
des journalistes - AGJ
c/o La Souris verte
36A, chemin du Champ-des-Filles
1228 Plan-les-Ouates
www.agj.ch
info@agj.ch

Lettre de la présidente

-> lien vers la convocation à l’AG

Octobre 2024

Chères consœurs, chers confrères,

En relançant le comité genevois de la section d’impressum, nous avons hérité des archives de nos prédécesseurs. Depuis 2004 et le lancement de l’AGJ sous sa forme actuelle, les lettres des présidents et des présidentes rédigées dans le cadre des différentes Assemblées générales ont cumulé les points communs et les superlatifs: année charnière, annonces sans précédent, situation jamais vue pour la profession, état déplorable du partenariat social, remise en question de la CCT mais aussi désespoir renouvelé, difficulté à mobiliser, perte du goût de débattre, engagement en berne. Chaque année ou presque, la survie de la section était aussi questionnée. Comités démissionnaires, absence de relève, appels du pied non relevés, là aussi les similitudes sont frappantes. En 2010, Xavier Lafargue se voulait plus nuancé et osait la question: aube ou crépuscule?

Il serait facile – et erroné – de conclure que les journalistes aiment à se plaindre, plus confortable encore de se complaire dans le discours de la lente agonie d’un secteur, annoncée depuis des décennies. Trop simple également de rejeter toute la faute sur les éditeurs ou le politique – malgré une culpabilité avérée et importante – car les rédactions et celles et ceux qui les dirigent sont aussi responsables de leur sort. Dans la course à l’info et à l’actu, dans l’implantation irréfléchie de la gratuité, dans la désertion du terrain au profit des agences, dans l’homogénéisation des discours, dans la concentration des titres et des contenus, dans le ratage du virage numérique et l’abandon des plus jeunes parties de la population trop souvent livrées à de l’information donnée sans conscience – comment s’étonner de la chute des médias à l’ère de l’immédiateté?

Et pourtant. 

Chaque année, de nouvelles générations de journalistes viennent remplir les rangs du Centre de formation au journalisme et aux médias et peupler les bancs du Master en journalisme de l’Université de Neuchâtel. Chaque jour, des milliers de journalistes continuent à se battre pour effectuer leur travail du mieux possible dans des conditions de plus en plus difficiles et parfois contre leur propre hiérarchie. De nouveaux fonds pour le journalisme émergent, des projets de fondations, privées comme publiques, se formulent dans l’ombre ou en pleine lumière, des titres inédits voient le jour ou sont en passe d’éclore, des discussions politiques refont surface sur l’aide aux médias, le statut de journaliste, la valeur de la carte de presse ou la modification de la Constitution pour soutenir un droit qu’elle-même établit comme fondamental: celui d’informer (art.16).

Puisque l’historique mentionné au début de cette lettre m’interdit de recourir une nouvelle fois aux termes de «moment charnière» pour le secteur, je leur préfèrerai donc celui de révolution.

Car les défis sont nombreux aujourd’hui pour une profession attaquée de toutes parts:

  • Par la communication, qui a envahi l’espace public, dopée par les réseaux sociaux, le nombre de porte-paroles progressant à mesure que celui de journalistes diminue.
  • Par les franges les plus radicales de l’échiquier politique, pour qui l’affaiblissement des médias est une étape vers une polarisation et une méfiance envers les institutions nécessaires pour servir leurs intérêts.
  • Par les créateurs de contenu, qui questionnent le métier même de journaliste de manière parfois vertueuse et parfois beaucoup moins.
  • Par l’intelligence artificielle générative, qui vient troubler le secteur tertiaire probablement dans les mêmes proportions que celles dans lesquelles la révolution industrielle a bouleversé avant elle l’agriculture et l’industrie.
  • Par l’état du monde et de ses sociétés occidentales, de plus en plus fractionnées en des groupuscules d’intérêts qui ne communiquent plus entre eux et refusent de lire, d’entendre ou de voir d’autres réalités que les leurs.

Mais si la situation actuelle est préoccupante – voire tragique -, elle a l’avantage considérable de brouiller des schémas jusqu’ici indélébiles et de poser frontalement des questions politiques trop longtemps taboues.

Face à la fin d’un système, plusieurs choix s’ouvrent: la paralysie, la résignation ou la lutte. Veut-on pleurer sur le monde d’hier ou construire celui de demain?

Vous l’aurez compris, la question est rhétorique. Mais c’est à plusieurs que les nouveaux modèles se construisent. Notre association n’est qu’une pierre dans cet édifice à bâtir, mais elle pourrait bien faire partie des fondations. C’est dans cet espoir que nous vous convions à notre Assemblée générale, lors de laquelle interviendra Jürg Steiner, fondateur de l’un des médias nés en réaction à une énième concentration des titres: «Hauptstadt».

Et c’est, résolument, avec optimisme que je vous adresse, chères consœurs et chers confrères, mes meilleures salutations.

Pour le comité de l’AGJ,

Séverine Chave, présidente